Extrait
Vous prendrez bien un
soupçon de romance ?
Chapitre 15 : Les meilleures recettes pour les belles-mères
Certaines personnes aimeraient célébrer leur anniversaire, signe de convivialité, de cadeaux, de bonheur et de réunion de famille, toute l’année. Je suis soulagée que Romain ne puisse le fêter qu’une seule fois par an, l’unique jour où je suis obligée d’inviter sa mère. Dans la cuisine, Rosita remarque mon air accablé.
— Mais enfin, madame Claudie, votre belle-maman n’est tout de même pas un monstre.
— Attends de la connaître, Rosita, cette femme est une vipère.
La sonnette de l’entrée retentit. Romain accueille mes parents. Ma mère couvre sa joue de baisers. Elle adore son gendre, c’est le moins qu’on puisse dire. Peu après, ma belle-mère fait son entrée. Par la porte entrebâillée, j’observe sa tenue : une robe fourreau d’un gris argenté ainsi qu’une étole en vison savamment jetée sur son épaule. Rosita la contemple avec stupéfaction.
— Dites donc, ses cheveux mauves, c’est le coiffeur qui l’a ratée ?
Nous prenons notre courage à quatre mains pour aller la saluer. Elle darde sur nous son regard hautain.
— Tu en as de la chance, Romain, tu as deux femmes de ménage pour le prix d’une seule !
— Maman, s’il te plaît, tu ne vas pas commencer !
— Qui est cette petite dame ?
— Maman, je te présente, Rosita.
— Rosita ? Vous êtes de quelle nationalité ? Mexicaine ?
— Non, señora, espagnole.
— Ah ! Quelle drôle d’idée d’engager une servante espagnole ! Tu avais envie de dépaysement, Claudie ?
— Cuisine bonne, señora, réplique Rosita. Moi faire testicules de taureaux rien que pour vous.
Horrifiée, ma belle-mère recule d’un pas.
— J’espère qu’elle plaisante, Romain ?
— Bien sûr qu’elle plaisante. Viens, maman, allons retrouver les parents de Claudie au salon.
— Ils vivent encore ? Quelle excellente nouvelle !
Rosita tourne les talons pour se réfugier dans la cuisine. Je laisse Romain gérer les invités et la rejoins. Elle est concentrée sur la préparation de l’entrée. Je me penche sur le papier pour lire la recette.
Saumon fumé sur lit de fromage aux herbes pour les constipées. Une recette maison afin de recevoir dignement votre belle-mère.
Attention, utilisez avec parcimonie certains ingrédients.
200 gr de saumon fumé, 15 gr de fromage frais nature, aneth, persil, ciboulette, cerfeuil et 1 cuillère à café de laxatif.
Intégrez les herbes et le laxatif au fromage frais, mélangez bien le tout. Versez la préparation dans une verrine et ajoutez le saumon coupé en dés.
Variante de la recette : pour une belle-mère hyper désagréable, vous pouvez mettre deux cuillères à café de laxatif.
— Mais enfin, Rosita, tu n’y penses pas !
— Comme vous voulez, madame, si vous changez d’avis, la verrine de votre belle-mère est celle avec la longue tige de ciboulette.
Je rejoins le salon pour me jeter dans l’arène. Romain me sourit et me tend un verre de champagne. Quand je m’assieds à côté de lui, il pose sa main sur mon genou. Mes parents nous contemplent avec tendresse, ma belle-mère serre la bouche.
— Je n’en reviens pas que tu aies quarante-quatre ans, mon chéri. Tu ne changes pas. C’est fou ce que les femmes vieillissent moins bien que les hommes, susurre-t-elle.
Son regard critique se fixe sur moi. Mes doigts se crispent sur le pied de ma coupe de champagne. Romain passe ses bras autour de mes épaules, ses yeux brillent de fierté.
— Je trouve que Claudie ne change pas.
— J’ai lu quelque part que les femmes les plus laides vieillissaient mieux que les autres, en effet, insiste belle-maman.
Je claque mon verre de champagne sur la table et rejoins Rosita. Elle me tend la verrine de ma belle-mère.
— Tu penses que je peux encore ajouter une cuillère de laxatif, Rosita ?
— Bien sûr, madame. Ça va lui faire repasser sa méchanceté par les fesses à celle-là !
Tout au long du repas, j’ai surveillé ma belle-mère avec beaucoup d’intérêt. Six longues heures ont été nécessaires pour que la recette de Rosita remplisse son office. Elle a commencé à transpirer, a posé la main sur son ventre, s’est rendue à plusieurs reprises aux toilettes. À bout de force, elle a demandé à son fils de la ramener chez elle, qu’elle ne se sentait pas capable de conduire. Mes parents en ont profité pour s’éclipser également. L’orage a grondé dès le retour de Romain. Il a agité sous mon nez la fameuse recette de Rosita.
— J’ai trouvé ça sur le plan de travail de la cuisine. Vous êtes complètement folles toutes les deux ! J’ai dû emmener ma mère aux urgences, la douleur était devenue insoutenable. Je sais qu’elle n’est pas facile, mais de là à l’empoisonner.
— Tu exagères ! On ne l’a pas empoisonnée, juste un peu aidée à évacuer sa frustration. Et puis, merde ! Elle l’avait bien cherché !
— Peut-être, mais ça reste ma mère !
Je commence à grimper les marches de l’escalier pour rejoindre ma chambre. La voix emplie de ressentiment de Romain me cloue sur place :
— Quant à Rosita, je vais la renvoyer. Je paie son agence assez cher pour qu’elle effectue un service impeccable, ce qu’elle est incapable de faire.
— Tu ne pardonnes jamais les erreurs des autres, hein ? Toi, tu es parfait, tu n’en fais jamais.
— Oh, que si ! Je t’ai épousée, contre l’avis de ma mère !
— Alors, ça, c’est petit ! Bonne nuit, Romain. Je vais dormir dans la chambre d’ami.
Du palier, je l’entends qui signifie son renvoi à Rosita. Je me penche par-dessus la rampe pour la voir dénouer la ceinture de son tablier et prendre son manteau.
— Vous avez raison sur un point, monsieur Romain, je suis une technicienne de surface imbuvable. Mais je suis aussi une femme aimante et fidèle. Dites à madame Claudette qu’elle peut me téléphoner quand elle veut, je serai toujours là pour elle. Avant de partir, je me permets tout de même de vous donner un petit conseil : occupez-vous d’elle au lieu de toujours vous soucier de votre réputation, de votre voiture, de votre travail, de votre mère et de vos amis. Je serai facile à remplacer comme bonniche. Une épouse aussi géniale que madame Claudette, ce sera bien plus difficile.
Le lendemain, en prenant le courrier, je remarque une lettre avec mon prénom, je reconnais l’écriture de Rosita. Je retire une simple feuille de papier de l’enveloppe.
Mousse au chocolat pour aider monsieur Romain à mieux dormir.
200 gr de chocolat noir, 50 gr de sucre, 3 jaunes d’œufs et six blancs battus en neige, 1 boîte de crème fraîche, 2 cachets de somnifères.
Faire fondre le chocolat. Ajouter le reste des ingrédients. Prenez bien garde d’intégrer les somnifères avant les œufs battus en neige pour éviter les grumeaux.
Variante de la recette : pour Natacha, vous pouvez passer à 4 cachets de somnifères.
À travers mes larmes, j’éclate de rire. Sacrée Rosita, elle me manquera.