Extrait

Ombeline soupira en regardant son reflet dans le petit miroir. D’ici peu, Edwin gagnerait la France. Elle ne l’avait plus revu depuis le jour où il s’était battu en duel. Elle savait qu’il avait passé la semaine dans les appartements de la comtesse de Surrey. Jeanne lui avait confié que lors de la réception de l’avant-veille, il avait bu plus que de raison. Chagrinée à l’idée de croiser Edwin en compagnie de sa maîtresse, Ombeline avait préféré ne pas se rendre à cette fête.

Elle se dirigea vers l’Upper Ward, la partie haute du château, pour assister au départ de l’armée. Elle dut jouer des coudes pour rejoindre Humphrey de Lancastre et apercevoir les soldats. Du regard, elle chercha Edwin parmi les cavaliers. Lui aussi scrutait la foule, le visage ombrageux, car il se doutait qu’à cause de sa conduite, sa femme ne viendrait pas lui dire au revoir. Et pourtant, elle se trouvait là. Elle ne le quittait pas des yeux et sans rancœur, sans rancune, elle lui adressa même un sourire. Edwin sauta de son destrier et s’avança vers celle qui lui offrait son pardon. Un grand murmure s’éleva de la foule des courtisans lorsqu’ils comprirent ses intentions. En entendant leurs rires, les mains de Robert se crispèrent de rage. Jamais un Lancastre ne s’était humilié de cette façon pour une femme. Il s’interposa entre son fils et sa bru.

— Edwin, que faites-vous ? Tout le monde vous regarde ! Tenez-vous à vous couvrir de ridicule ?

— Le ridicule ne tue pas, père, la guerre, oui.

— Rejoignez vos hommes, c’est un ordre !

— Écartez-vous de mon chemin ou bien vous pourriez le regretter.

Rouge de colère, Robert bouscula ceux qui se trouvaient sur son passage pour rentrer dans le château. Soudain, la voix railleuse du duc de Norfolk résonna désagréablement aux oreilles d’Edwin.

— Puis-je me proposer afin de réchauffer la couche de votre femme pendant votre absence ?

Humphrey de Lancastre ferma les yeux : non, non, non, non ! songea-t-il avec raison. Lorsqu’il les rouvrit, Richard gisait sur le sol ainsi que deux de ses dents. Lui aussi se pressa de déguerpir au plus vite. Edwin s’agenouilla devant Humphrey.

— Mon oncle, puis-je solliciter votre protection pour Ombeline pendant mon absence ?

— Je vous l’accorde.

— Et si je ne revenais, je refuse qu’elle épouse mon père ou qu’elle entre au couvent. Renvoyez-la en France.

— Encore une fois, je vous en fais la promesse.

— Merci, mon oncle.

— Battez-vous comme un lion, mon neveu. Que le nom des Lancastre terrorise ces Français jusqu’à la fin des temps !

— À mon tour, je m’engage à respecter cette promesse.

Edwin tressaillit lorsque les doigts d’Ombeline se posèrent sur son bras.

— Merci de me laisser rejoindre ma famille.

La déception assombrit le visage du duc.

— Oh ! Es-tu si pressée que je trépasse ?

— Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Merci d’y avoir pensé.

— Ces derniers jours, je n’ai pensé qu’à toi, Ombeline.

— Cela n’a pas dû être facile entre les cuisses de la comtesse de Surrey.

— Si tu savais combien de fois je me suis endormi sans même pouvoir l’honorer.

— Dois-je faire semblant d’en être ravie ?

Les yeux rieurs, Edwin se pencha vers elle pour l’embrasser. Elle lui rendit longuement son baiser en ignorant les exclamations offensées ou amusées. Enfin, le duc releva la tête pour la contempler avec espoir.

— Prieras-tu pour mon retour ?

— Oui. Et pour que vous tombiez amoureux de moi.

— Je suis déjà amoureux de toi, Ombeline.

Il fondit de nouveau vers ses lèvres, ne les abandonna qu’à contrecœur. La foule s’écarta pour qu’il puisse rejoindre sa monture. Il grimpa sur un cheval au caractère aussi fougueux que le sien pour donner le signal du départ. Les courtisans se dispersèrent. Ombeline resta seule un bon moment pour implorer le Seigneur de préserver la vie de ce mari fort imprévisible, mais qu’elle aimait follement.